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Le 11 février 1939, je marchais vers la frontière .
Le 13 février 1939, je passais la frontière.
Le 16...ou 17 février 1939, j'arrivais à Septfonds.
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Le 2 juin 2004, nous refaisons ensemble ce trajet, en voiture...
Candido Colomina (à gauche sur la photo, ici avec son beau-frère) était arrivé d' Espagne début février 1939 et quelques jours après il était envoyé au camp de Septfonds via la gare de Borredon. Le 2 juin 2004, nous avons refait le trajet ensemble, mais cette fois en voiture....
Après nous être donné rendez-vous sur la place du village, nous partons en voiture jusqu’à la gare de Borredon. Candido Colomina, à plus de 80 ans, a encore « bon pied, bon œil ». Dans la voiture, il est déjà plongé dans son passé et me dit : « je me souviens, le chemin était jalonné de Sénégalais. Ils faisaient comme une haie et nous ont encadrés tout au long du trajet… ».
L’arrivée devant la gare fut un moment émouvant. Dans la longue allée menant au bâtiment, il me dit : « vous savez, je n’étais jamais revenu jusqu’à aujourd’hui. Je suis déjà venu dans la région, mais jamais jusqu’à la gare. J’en ai gardé un trop mauvais souvenir ».
Après m’être arrêté, il descend de voiture et observe longuement les alentours, cherchant à reconnaître les lieux. Pas un mot pendant quelques instants, puis il dit : « je me souviens de la gare…mais où sont les rails? ».
C’est vrai que de la cour extérieure nous ne les voyons pas. Je l’amène de l’autre côté, en passant par un petit portillon soigneusement fermé et nous nous retrouvons sur le quai. A nouveau le silence. Il observe à droite, et à gauche, puis à nouveau à droite, comme il avait dû le faire soixante cinq ans plus tôt en descendant du train. Il lève les yeux vers le haut de la façade : «je me souviens du nom écrit au-dessus de la porte : Borredon. Ensuite, on nous a fait traverser la gare, encadrés par des sénégalais ».
Malheureusement, aujourd’hui nous ne pourrons pas y pénétrer. La gare est fermée à cette heure-ci, et c’est en toute « illégalité » que nous avons visité les lieux. Je m’en excuse ici auprès du propriétaire, M. Mouriau, qui aurait certainement été ravi de recevoir un tel hôte.
Revenus devant la gare, le regard de Candido Colomina est attiré par la plaque apposée sur la façade et qui dit : « Du 5 au 12 mars 1939, 16000 républicains, réfugiés espagnols fuyant le franquisme, arrivent en gare de Borredon et gagnent à pied et en rase campagne le camp d’internement de Septfonds en construction ». « Je suis arrivé avant, déclare-t-il… ; le 16 février…peut-être le 17, mais pas plus tard. J’en suis sûr.
J’ai passé la frontière espagnole le 13 février. Vous savez, il y a des dates que l’on n’oublie pas. Puis, je suis resté deux jours à Prat-de-Mollo, dans les Pyrénées Orientales où j’ai dormi dans l’église. Nous avons ensuite gagné Perpignan en camion, puis on nous a mis dans un train. Calculez : je ne me trompe pas. J’étais dans le premier train qui a amené les Espagnols. D’ailleurs, au camp il n’y avait rien, mais ce qui s’appelle rien. Il y a des choses que l’on n’oublie pas » répète-t-il. Il prononce ces phrases en me regardant droit dans les yeux, effaçant du coup tous les doutes que j’aurais pu avoir sur sa mémoire. Mais là, pas de doute. L’homme a toute sa lucidité et du regard, me le fait savoir.
Autre chose le fait réagir : les deux derniers mots : « en construction ». « Ca, c’est en trop. Quand je suis arrivé, rien n’était construit. C’était un champ. Il n’y avait personne. J’ai participé à la construction des premiers baraquements en bois car j’avais des connaissances en charpente. Un camion nous livrait des planches et du matériel et c’est ainsi que nous avons monté nos premiers abris, en planches clouées les unes sur les autres de façon à ne pas laisser passer l’eau en cas de pluie ». Par des gestes précis, il accompagne ses mots afin de m’expliquer « la technique ». Tout ceci pour conclure : « alors cette phrase : « en construction », c’est faux, puisque il n’y avait rien à mon arrivée ».
Pour avoir déjà rencontré Candido Colomina, sa version concernant les dates de ces évènements n’a jamais varié. Et pour conclure sur ce chapitre il me conseille d’essayer d’obtenir des informations par l’intermédiaire de la SNCF qui doit bien avoir des archives. Il existe certainement quelque part des traces de ces mystérieux trains arrivés avant les dates connues jusqu’à ce jour. En tout cas l’idée me paraît excellente.
Passée cette étape de la visite de la gare, nous reprenons la voiture pour regagner le camp de Septfonds. Une fois installés dans le véhicule, bien confortablement, je prends tout mon temps pour manœuvrer et pour me placer dos à la gare et face à l’allée d’environ trois cents mètres de long, bordée d’arbres. Avant de démarrer, j’observe mon passager qui soudain ne dit plus un mot. Visiblement, il est plongé dans ses souvenirs. Soixante cinq ans plus tôt, presque jour pour jour, il était là dans des conditions que lui seul connaît et que je me garde bien, pour l’instant de lui demander. « Je ne me rappelle pas de la route » me lance t-il presque désolé.
Comment ne pas le comprendre ! Aujourd’hui, par cette belle journée de printemps, avec un ciel bleu et une nature verdoyante après les pluies des dernières semaines, rien n’est certainement comparable avec l’enfer qu’il a connu en Février 39, qui fut un des hivers les plus froids qu’il n’y ait jamais eu dans la région. Le vent, la pluie glaciale, et un état physique et moral au plus bas après cet exode éprouvant et fortuit. Comment ne pas excuser cet homme qui, en quelques jours avait tout perdu : sa famille, son pays, son honneur. Quelle importance pouvait avoir les paysages de notre région à coté d’une telle détresse morale ?
Au bout de l’allée, nous tournons à gauche en direction de Lapenche. Au bout d’un kilomètre environ, nous tournons à droite pour passer sur un petit pont qui franchit le Candé et nous fait quitter la commune de Montalzat pour entrer dans celle de Caussade.
La route sinueuse monte progressivement et, après un kilomètre et demi nous coupons la route qui relie Caussade à Puylaroque. Nous traversons le petit bois du colombier, (tout droit à un croisement), et après un virage serré sur la gauche, nous traversons à droite un autre pont qui franchit la Lère.
A ce moment-là, nous quittons la commune de Caussade pour entrer dans celle de Septfonds par le lieu-dit Merle Bas. Devant nous, le paysage est dégagé. Au lointain nous apercevons le château d’eau de Lavaurette distant d’environ huit kilomètres. Après quelques centaines de mètres : à nouveau à gauche. Actuellement, un petit panneau indique « Camp de Judes ».
Nous passons un dernier petit pont qui saute le Daudou au lieu-dit Merle Haut. A ce moment-là mon passager s’exclame : « tout droit, nous sommes passés tout droit ». Je m’exécute, trop content de l’écouter ; d’autant qu’à ce niveau, deux directions pouvaient être prises, menant toutes les deux au camp. Et jusqu’à ce jour, nous pensions que le trajet empruntait l’autre direction longeant et remontant le Daudou.
Voici donc un petit mystère de plus qui est élucidé. Donc : «tout droit» puisqu’il semble reconnaître ce passage. A droite, une ferme, au lieu-dit Perrines puis, après une montée la route tourne subitement à droite. Une longue ligne droite qui descend puis remonte, nous fait soudain apercevoir l’église de Lalande. Ça y est, nous y sommes !
Nous avons parcouru exactement sept kilomètres lorsque nous nous retrouvons au Mémorial du Camp, aux pieds de ce qui fut le camp provisoire. Tranquillement, bien confortablement assis dans ma voiture, nous avons fait le trajet en dix minutes. Deux heures ont été nécessaires aux miliciens…et dans quelles conditions…
Devant le mémorial, Candido Colomina cherche des repères. Il ne dit toujours pas un mot. Il observe la plaine qui s’étend à nos pieds. Il observe l’église, puis à nouveau la plaine. Brusquement, il pointe le doigt vers un endroit précis, un point situé à environ cent mètres de nous , en contre-bas dans le champ et à deux cent mètres face à l’église. « Vous voyez, j’étais là. C’est là que j’ai passé les premières nuits ».
Une fois encore, il me dit : « quand je suis arrivé là, il n’y avait rien, ni personne. Pour les premières nuits, nous avons creusé des trous dans le sol et nous dormions à trois, blottis les uns contre les autres pour avoir plus chaud. Pour nous abriter, on plantait quatre bâtons dans la terre pour tendre une couverture au dessus de nous ». Sur les conditions de vie, il ne dira rien. Je respecte son émotion de revoir cet endroit soixante cinq ans après. Mais que d’images qui doivent passer dans son esprit en ce moment. Pourrait-on même l’imaginer ? Peut-on comprendre, même avec des explications ce qu’ont vécu les premiers arrivants au camp provisoire en ce terrible hiver 39.
En tout cas, pour cette fois, je suis bien décidé à ne pas lui poser de question. Ce moment privilégié lui appartient, un peu comme s’il était en train de faire le deuil de ce passé. Il est tard. Nous regagnons Septfonds. Dans la voiture, il évoque un point précis concernant les baraquements : « ils étaient fermés sur trois côtés : un grand et les deux petits. D’ailleurs, pour nous protéger un peu du vent et du froid, nous fermions en partie le quatrième côté grâce à un mur d’un mètre de haut environ fait d’un mélange de paille et de boue. Ce n’était pas l’idéal, mais c’était mieux que rien ».
Nous entrons dans Septfonds : « Si vous avez besoin de moi, encore une fois, je reviendrai avec plaisir ». J’en suis presque gêné car il habite tout de même à Moissac. Je sais en tout cas que nous nous reverrons car le premier pas étant fait, il aura maintenant beaucoup de choses à dire sur sa vie dans le camp.
Photo : juin 2004 - Candido Colomina à gauche accompagné de son beau-frère.
Témoignage recueilli par Jean-Marc Labarta (juin 2004).
Candido COLOMINA est décédé le 07 octobre 2009 à l' âge de 90 ans. Entre 2004 et 2009, il n' aura manqué aucune cérémonie du 8 mai au cimetière des espagnols.
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