dijous, 20 d’agost del 2015

Etre fils de "rouge", deuxième partie.


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Chroniques Latines

Les chroniques Latines de Jean Ortiz portent un regard loin des clichés sur les luttes de libération du continent sud-américains... Toujours un oeil vif sur l'Espagne et les enjeux sous-jacents du quotidien...
Jean Ortiz


Le blog de Jean Ortiz. J’ai grandi entre deux exils... en quelque sorte « doublement immigré » ! Souvenirs, souvenirs.
Au village ouvrier, nos maisons familiales, construites par un grand-père colosse-bourreau de travail, se touchaient. D’un côté l’exil politique, Enrique, mon père, le guerrillero communiste, et de l’autre mes « abuelos » (grands parents) maternels, Alfonso et Isabel : l’exil économique. Pas de cloisonnement. Je passais de l’un à l’autre sans m’en rendre compte. Des deux côtés : la lutte légitime pour la dignité et la solidarité. On parlait l’espagnol, pas le français. Les « abuelos » y ajoutaient l’occitan, la langue à la fois soumise et résistante, la langue cousine qui leur permit de s’intégrer ; celle qu’ils apprirent tout naturellement dans un village où l’on parlait cette langue maternelle, l’occitan, dans les foyers, les bistrots, les rues, au marché ; mais où il était interdit à l’école d’employer des mots « patois ». L’impur et trop popu « patois » ! L’ascenseur scolaire n’a pas que des vertus... Le plurilinguisme menacerait la République, « hilh de puta » ! En réalité, il l’enrichit. Que les sceptiques lisent les écrivains, les poètes, Bernat Manciet, Frédéric Mistral, Max Roqueta, Robèrt Lafont, Joan Bodon... Qu’ils écoutent les chanteurs d’oc... Ils se convaincront de la nécessité (qu’elle vive) et de la beauté de l’occitan, aussi bien du tronc commun que des variantes des différents « pays » de langue d’oc : Chez nous, le « Volem viure al pais » avait un contenu de classe.

Mes grands-parents, nés à Salamanca, où même paraît-il les pierres étaient jadis franquistes, arrivèrent dans les années 1920. Racolés par une France en reconstruction, ils venaient des Asturies avec contrat de travail en poche et voyage payé, SVP ! Tapis rouge ! Et ils ne jouaient pas au PSG-Qatar, ce Qatar qui financerait aussi d’autres terrains d’affrontement... Dans les années 1920, la France, tout simplement, avait besoin de bras d’immigrés après la saignée de la Première Guerre mondiale, comme aujourd’hui sur les chantiers du BTP ou les services de voirie. Les Espagnols ne vinrent pas « manger le pain des Français » mais plutôt leur permettre de l’acheter. Comme ces « immigrés » du présent, qui rapportent plus qu’ils ne coûtent.

Rue du Castel (château), à Labastide-Rouairoux, les deux exils espagnols s’épaulaient, se prolongeaient. A la suite d’une initiative un peu folle de la Jeunesse communiste, relayée par les élus communistes au conseil municipal, la moyenâgeuse « rue du Castel » devint « Rue Commune de Paris », et la plaque apposée sur la maison d’Enrique.
Mon grand père maternel, bravasse, toujours de bonne humeur, maçon, poussait son charriot sur des kilomètres pour aller trimer, en chantonnant « Los mozos de Moleón ». Le moustachu Alfonso animait le Cercle des Espagnols du village. Les jours de carnaval, il prenait la « testa » d’un cortège (immigré) avec déguisements, danses et chants du nord de l’Espagne, flûtes et cornemuses ; et il entraînait les Français à sa suite... Un véritable impérialisme culturel à l’envers! Alfonso fit venir pour travailler au village frères et sœurs, (il colonisa Labastide!) et organisa même des manifs de soutien à la République espagnole. Dans sa grande majorité, l’exil économique prit parti pour « les rouges ».

La pauvreté de mes parents fit que mes « abuelos » maternels m’accueillirent chez eux, de l’autre côté du mur, et m’élevèrent. Alfonso était fier de chaque réussite aux examens « del Juanito », de mes candidatures pour le PCF (tonte obligatoire de la tignasse, et costume d’immigré qui a réussi), de mes meetings au village... Lorsque les foudres paternelles se déchaînaient, Alfonso servait de paratonnerre. Pour le remercier, mon frère Enrique (tradition espagnole) et moi, lui faisions les pires gentillesses, du genre peindre les tomates vertes en rouge... pour accélérer la révolution, l’aurore rouge... et partir en courant !

Restez à l’écoute ! Le clou est à venir ! (transition ex-abrupto). Mon arrière grand père maternel, Ricardo Hernandez le « madrileño », était un flambeur, un coureur, un buveur, un faux hidalgo « fausse classe », haut en couleurs. L’arrière-grand-père du fils de « rouge » fut, il fut... cocher du roi Alphonse 13, ouiouioui, c’est vrai de vrai, mon « tatarabuelo » cocher du roi battu par la République en avril 1931... et mon arrière « abuela » : repasseuse à la cour. Las de cocheter le roi, Ricardo abandonna un jour ses trois enfants et s’embarqua pour Buenos Aires, afin de s’y remplir les poches pendant quelques années. Les poches trouées, il revint au bercail et ne put même pas payer le taxi de la gare au domicile familial. Il n’avait que des gros billets disait-il.
La grand-mère Isabel, fluette et fragile, toute en délicatesse, noueuse comme un pied d’olivier et rompue au travail, au battoir du lavoir, syndiquée à l’usine textile Barthès (« remetteuse de fils »), nous faisait des « mantecaos », des « rosquillas », des « migas », chantait de si belles « habaneras » (« si a tu ventana viene, una paloma... »). A Madrid, elle dut servir chez les riches et chez le monarque bourbonneux et bambocheur (tradition familiale...)
Mon père, lui, préférait les « churros », à tel point qu’il se fit fabriquer une machine à churros semblable à une mitrailleuse de l’Ebre, et qui jamais ne fonctionna. Il en fut pour ses frais ; se faire ridiculiser par une machine à cracher des churros lorsque l’on a combattu le fascisme.... Et il n’avait pas le sens de l’humour, l’animal. Lors du dernier repas avant mon départ pour La Havane, afin d’y substituer le pote José et de m’essayer au journalisme pour « L’Huma », je lui parlai de la « libreta », le carnet de rationnement « égalitaire » des Cubains. Mal m’en prit. Pour lui, le rationnement, c’était Pétain, les topinambours, les rutabagas... Il se leva et me lança, sur un ton de commissaire politique peu enclin au dialogue : « si tu racontes des conneries avant de partir à Cuba, il vaut mieux que tu restes ici ! » Lorsque j’y repense, il appelait cela « les principes »... ne jamais abdiquer ni se vendre, ne rien lâcher, ne pas négocier « les principes », ne pas transiger sur l’essentiel. Il n’aimait pas ce que Santiago Carrillo était devenu. Et les « tontons » du dimanche non plus.
Ils venaient d’Albi, de Castres, de Carmaux, de Mazamet... pour se réunir discrètement à la maison et recréer un pays. Ils restaient malgré tout, valises à la main, des « exilés ». En 1950, Franco fit éliminer du dictionnaire officiel de la « Real Academia » le mot « exilé »... De ma chambre, j’entendais les éclats de voix de la réunion clandestine du PCE. Le journal « Mundo Obrero » arrivait de Paris avec la complicité des cheminots communistes français... Il était imprimé sur du papier très fin pour mieux le dissimuler. Les militants espagnols organisaient la solidarité, les souscriptions, les pétitions... pour tenter de sauver par exemple le dirigeant du PCE Julian Grimau, arrêté à Madrid et exécuté le 21 avril 1963 après une parodie de procès. L’annonce de sa mort, par une voix grésillante, sur nos ondes courtes du soir, « Radio España Independiente », « la Pirenaica », nous fit beaucoup pleurer, mais aussi se lever de nouveaux militants. Le gamin que j’étais apprit l’internationalisme. La voix de la « Pasionaria » remplaçait la grand-mère paternelle, si loin, si absente...
Pour joindre les trois bouts, Enrique, manœuvre dans la maçonnerie, avait construit, sur un morceau de montagne pentu, une maisonnette à lapins, poules, pigeons et cochon. Le jour des cochonnailles, on descendait le goret sur une sorte de brancard, tel un « paso » de Semaine sainte andalouse traversant le « barrio ». Il ne manquait que la « saeta » chantée du haut d’un balcon. Le pauvre porc, condamné à mort, hurlait plus fort qu’un toro dans l’arène. Le cortège prenait des allures de procession à la fois morbide et rigolarde.

Transition dialectique... Un bon article, comme un bon poème, m’a appris le poète démesuré Serge Pey, nécessite une bonne conclusion sans conclusion, parfois une anecdote qui n’est pas anecdotique... Lorsque le « padre » Enrique organisait des voyages d’Espagnols, c’était pour gagner quelques sous afin d’aider les prisonniers politiques de la prison de Burgos et leurs familles... Dans le bus, on chantait « Adiós mi España querida... yo soy un pobre emigrante », les trémolos pleurnichards de Juanito Valderrama, d’Antonio Molina... Et on attendait la chute, qui n’allait pas tarder, du dictateur... Il mourra dans son lit en 1975, comme l’avait décidé le « monde libre », pour bons et loyaux services rendus. Le bus s’arrêtait à Saint-Pons, et en route pour la baignade, en Roussillon: à Argelès-sur mer ! Sans les barbelés, l’eau putride et les humiliations. Argelès-sur-mer. Quand j’y pense... Argelès. Pour exorciser l’exil ?
  • Lire aussi : Etre fils de rouge, première partie
    Etre fils de réfugié politique, de « rouge », de Républicain espagnol, «d’étranger indésirable », « dangereux » (décrets de mai et novembre 1938, du gouvernement "centre-gauche" de Daladier), m’a contraint à devenir un gamin différent des autres.