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portrait
Le 26 décembre dernier, Esteban Pérez a fêté ses 103 ans. Républicain espagnol, il a fait toute la guerre détaché auprès de la XVe Brigade internationale. Interné en France, il fut ensuite déporté à Mathausen. La semaine passée, Esteban Pérez a été fait chevalier dans l’Ordre national du mérite. Fier de son ruban bleu, il reste fidèle au drapeau rouge.
Dans son village de Castille, les choses étaient simples, en 1910. Il y avait le propriétaire et les autres. Ceux qui n’avaient pour richesse que leurs enfants : prolétaires au sens originel du terme… Le côté où naquit cette année-là Esteban Perez, à Portillo de Toledo, le lendemain de Noël. Pas de canne pour venir vous accueillir et poignée de main ferme… «J’ai 103 ans, vous dites ? Déjà ? Je ne m’en suis pas aperçu», commence-t-il rigolard, le regard pétillant.
Esteban Perez ? Aujourd’hui, il vit à Montseret, dans l’Aude. Petit pavillon tranquille où Thérèse, 77 ans, veille sur lui. Et la Pasionaria aussi. Dolores Ibarruri dont le portrait est bien en évidence dans le salon… «Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux !» Sa gorge se noue alors, en évoquant l’égérie du Parti communiste espagnol, députée et puissante oratrice qui galvanisait les combattants républicains contre Franco. Car pour Esteban, ce n’était pas un slogan mais du concret, le combat pour la dignité.
Une mère trimant pour les élever lui, son frère aîné et un frère cadet «retrouvé fusillé dans un fossé». Un père journalier mais qui «savait lire et écrire», souligne-t-il fièrement... N’empêche, même si ce dernier était aussi responsable du moulin à olives… «C’était la misère. La seule viande qu’on mangeait, c’était celle qu’il braconnait», poursuit Esteban, pas bien vieux lorsque la famille déménage pour Madrid.
«Moi, je n’ai pas été à l’école. Dès cinq ans, j’ai commencé à vendre des gousses d’ail dans la rue…» Ses petits métiers de gagne-misère ? Ce sera ensuite «le petit train de la chance» avec ses billets de tombola à un sou avant d’entrer dans une usine de peignes, là où il apprendra l’alphabet et la lecture, «avec un petit qui savait».
Le 14 avril 1931, le jour où la République a été proclamée ? «Je faisais mon service militaire à Mellila, au Maroc, comme mitrailleur. J’ai dansé ! On était des gens de gauche dans la famille», se souvient-il encore. En 1935, il prend sa carte au Parti communiste, «parce qu’ils étaient pour les salaires et la réforme agraire, donner la terre à ceux qui la travaillaient». Et puis arrive le 18 juillet 1936, le soulèvement militaire contre la République…
à Fuencaral, près de Madrid, avec son bataillon de volontaires, il se retrouve responsable des tranchées à creuser, auprès de la XVe Brigade internationale où l’on parlait surtout anglais. Madrid, Brunete, la terrible bataille de Teruel, le froid, la faim, une première blessure à la main… «Quand on a passé l’Ebre, il y avait l’espoir, mais on était trop fragiles, il y avait pénurie d’armes». C’est durant cette bataille qu’un copain lui tatoue la Pasionaria sur l’avant-bras. Il relève sa manche. Les larmes lui viennent. Il avait vibré plus d’une fois en l’écoutant. «No Pasaran» ... «C’était une femme de combat».
Mais ce fut la Retirada, puis l’hôpital à Marseille pour opérer sa blessure, le camp d’internement en France, puis à nouveau la guerre qui l’envoya se faire capturer sur la ligne Maginot… avec pour prime la déportation à Mathausen en tant qu’Espagnol républicain «apatride» ... tandis qu’emprisonnée en Espagne, sa femme voyait mourir de faim leur premier fils, en 1941.
Ce samedi de la mi-janvier ? Centenaire ayant survécu aux pires barbaries de son siècle, Esteban Pérez a été fait chevalier dans l’Ordre National du Mérite, décoré de bleu sur sa veste du dimanche. Son cœur, lui, reste rouge. Comme le triangle que les nazis lui avaient collé sur la poitrine en tant que «politique». «Et je cotise toujours au Parti», sourit-il.
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