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Les réfugiés ont dû affronter les rigueurs de l'hiver, en pleine montagne, pour traverser la frontière et se mettre à l'abri de la répression./ DDM Jean-Michel Mazet
Les corps faibles progressent péniblement : quelques points noirs dans la neige ariégeoise. Le froid éreinte et essouffle une femme et ses enfants, emmitouflés sous une fine couverture. Pas de bagages, pas de valise : les corps vacillent, les corps chancellent. Des jours qu'ils marchent, mais il faut encore renverser des montagnes pour espérer une nouvelle vie. Les Pyrénées ne font pas de cadeaux. A quelques kilomètres de là, la frontière française.
Et soudain, l'horreur de la Guerre d'Espagne s'invite dans le sud français. Au printemps 1938, l'Ariège voit des visages accablés passer ses cols, ses montagnes. Des hommes, des femmes, des enfants, des soldats qui, quelques mois avant la chute de Barcelone, prennent la route et tentent la traversée des Pyrénées. Le Couserans voit alors défiler sur ses routes plusieurs centaines de réfugiés espagnols. Tous fuient le régime franquiste et ses troupes nationalistes, soutenus par les corps expéditionnaires de Mussolini (« Corps des troupes volontaires ») et d’Hitler (légion Condor).
De ces exilés espagnols qui arrivent en terres françaises, au camp du Vernet où sévit la terreur, en passant par la difficile intégration de ces réfugiés, la Retirada n'a pas épargné l'Ariège.
A l'occasion du 80e anniversaire de la Retirada, les journalistes de La Dépêche du Midi sont allés à la rencontre de celles et ceux qui ont emprunté les «chemins de la liberté». Ils racontent ce qui les a poussé à quitter leur foyer dans la précipitation. A traverser une Espagne qui croule sous les bombes. A braver la foule, à attendre que les barrières ne se lèvent. A tenir dans le froid, le ventre affamé, dans des camps quadrillés de barbelés. A se battre pour se reconstruire, sur des territoires qui refusaient de les accepter.
Pendant 12 semaines, votre journal a publié les témoignages de ces individus qui ont connu l'horreur. 12 articles, pour remonter l'histoire. Il vous invite aujourd'hui à retracer le parcours des exilés espagnols en Ariège.
Ce qui les a poussé à quitter l'Espagne
Des flashs. De la Retirada, ils en gardent de vagues images. Parfois des souvenirs intacts. 80 ans après, il faut encore de longs silences, pour les reconstruire. Certains ont entendu ces histoires de la bouche de leurs parents. Les autres n'étaient âgés que de quelques années lorsqu'ils ont été obligés de quitter leur Espagne natale, balayée par les troupes franquistes, de la Galice à Barcelone en passant par l'Aragon et l'Andalousie. C'est le début de la Retirada, bien avant la chute de la capitale catalane en janvier 1939.
Miguel Paronella : Le drapeau de la Seconde République espagnole pend à l'uniforme. Un fanion, trois couleurs, et ces inscriptions : « 3e compagnie, 3e bataillon, 26e division ». Miguel Paronella, grièvement blessé, s'accroche à sa tricolor. Nous sommes en 1938, sur le front de la Guerre d'Espagne. Le soldat est touché à la nuque. Le soldat anarchiste, qui se bat contre les troupes franquistes, est ramené au fort de Figuères, près de la frontière française. En convalescence, Miguel Paronella prend le commandement du site. Quelques mois plus tard, lui et ses hommes sont obligés de fuir de Figuères : «Ils sont passés par la montagne en unité constituée, ont été désarmés et envoyés au camp d'Argelès-sur-Mer», raconte Pierre Paronella, son fils qui habite aujourd'hui Saint-Girons.
À Figuères, Pierre Paronella (alors âgé de 4 ans), sa mère Maria et sa petite sœur, quittent le foyer familial à l'aube : « Ma mère recevait des coups de téléphone disant qu'on allait la tuer elle et ses enfants », se rappelle le Saint-Gironnais.
Louis Torrent : Les enfants de la République espagnole luttent aussi pour leur survie. C'est le cas de Louis Torrent. De sa Retirada, le Massatois en garde des flashs. En février 1939, sa mère, Cécilia, qui le tient par la main. Son père, Joan, portant sur ses épaules son petit frère, Sol. Tous obligés de fuir d'Agullana, dans le nord de l'Espagne, jusqu'au camp d'Argelès-sur-Mer : « Mon père était fiché parce qu'il avait tué un franquiste, relate Louis. Nous étions obligés de fuir. »
« Mon père était fiché parce qu'il avait tué un franquiste. »
La famille Gonzalez : Les Gonzalez sont aussi obligés de partir. L'histoire de cette famille, c’est celle d’un couple, Antoine et Maruja, qui court pour fuir, celle d’un homme qui travaille pour tenir, celle d’une fille, Maritchu, qui fait tout pour faire vivre le souvenir. Dans les années 1930, lui est responsable de secteur des Républicains espagnols, à Nueva de Llanes, dans les Asturies. En 1939, chassé par les troupes franquistes, il fuit à Barcelone : « C’est là qu’il va épouser ma mère », sourit Maritchu Dolques, qui habite aujourd'hui à Seix.
Enric, Joana et Josefina Mias, durant leur exil.
Famille Mias : La franc-maçonnerie espagnole n'est pas épargnée. Annie Rieu, de Salau, se souvient. Enfant de la Retirada, elle raconte le périple de son grand-père, Enric, franc-maçon et membre de la Gauche Républicaine Espagnole. Le 20 janvier 1939, lui et ses deux filles, Joana et Josefina quittent Barcelone à la hâte avec seulement quelques affaires.
Ils laissent sur place Jeanne Lemarchand, épouse d'Enric, restée pour «mettre en ordre quelques affaires, quelques papiers ». Ils apprendront des années plus tard son assassinat : « En tant que Française elle pensait ne rien risquer, atteste Annie Rieu. Erreur. Elle a fait les frais de l'engagement de mon grand-père condamné à mort et fut trépassée par une strangulation, dont on n'a jamais connu les auteurs. »
Consternation, incompréhension et émotion à Orgeix. Il est 8 heures du matin, et les dizaines d'habitants du village sont regroupés, dans les rues. Sonnés. En ce 5 juin 1938, le village de la Haute Ariège vient d'être bombardé par une escadrille non identifiée. Par chance, pas de victime, mais soudainement, c'est la Guerre d'Espagne qui s'invite dans le département.
L'événement émeut, mais suscite beaucoup d'interrogations. La France n'est pas en guerre, et il est impossible d'identifier les neuf appareils, qui ont, pendant deux heures, survolé le territoire départemental, avant de lâcher leurs bombes.
Il est un Ariégeois qui, pourtant, les a vus de près, ces avions. Léopold Ferrand, habitant de Luzenac, lance sa ligne à proximité du barrage du château d'Orgeix depuis 5 heures du matin. Vers 6 heures du matin, un énorme vrombissement lui fait lever la tête : « J'aperçus alors dans le ciel un groupe de neuf avions, de couleur grise, sans cocarde, formés en triangle et marchant par groupes de trois », témoignait alors le pêcheur dans notre édition le 6 juin 1938.
« Je les ai vus descendre comme des oiseaux qui piquent vers le sol. »
Dans une météo difficile, l'escadron fend le ciel ariégeois : «Les montagnes déroulaient des écharpes de brumes ». Les avions jouent un véritable manège pendant deux heures : ils apparaissent au-dessus de Merens, se dirigent vers Bonascre, avant de survoler Luzenac. Ils reviennent ensuite de la vallée d'Orlu, avant de se diriger vers Orgeix.
Ils larguent trois premières bombes : « Je les ai vus descendre comme des oiseaux qui piquent vers le sol », raconte Léopold Ferrand. L'un des projectiles tombe à 200 mètres du pêcheur, qui se jette sous un amas de rochers pour s'abriter. Plus loin, les bombes pleuvent : « De mon poste d'observation, je suivais tout ce qu'il se passait et j'ai vu les neuf avions disparaître vers Latour-de-Carol », relate le pêcheur.
Affolement et questionnement
Léopold Ferrand retourne au village. Sur place, c'est l'affolement. Et la question qui revient sur toutes les lèvres : que cherchaient ces appareils ?
Les Ariégeois constatent les dégâts : 24 impacts de bombes sont recensés entre le col de Joux et le secteur d'Orgeix. Quelques vitres du château du village sont cassées, la ligne de haute tension électrique (52 000 volts) qui alimente la ligne ferroviaire de la Pyrénéenne est coupée en deux endroits.
Franco aurait-il cherché à faire reculer les Républicains espagnols en attaquant le sol français ? Édouard Daladier lui-même, ministre de la Défense nationale, n'écarte alors pas la question. Le politique se rendra sur place pour constater les dégâts. Les autorités vont se mettre à enquêter sur les éclats de bombes retrouvés sur place.
Au fil des années, les témoignages se succèdent. Un témoin, François Vergé, affirme avoir repéré « qu'à l'extrémité de chaque aile, il y avait une bande rouge ». Une marque de l'aviation républicaine. En repartant, les avions ont également largué des tracts en espagnol, invitant les soldats franquistes à rallier les républicains. Tout pour les accuser.
À ceci près que seuls les Italiens et les Allemands possédaient des bombardiers trimoteurs et seule la légion Condor du Reich en avait des gris… Les nazis auraient-ils tenté de manipuler les esprits ? Aujourd'hui, le mystère reste entier.
La fuite sous les bombes
Du pas de leur porte à la frontière française, la Retirada des Républicains espagnols est un enfer. L'exil impose froid et famine. Il essaime fatigue et terreur sur les visages des marcheurs. Le chemin vers la liberté est long et balayé par les bombes et mitraillettes des forces de Franco.
Manuel Maravé : En 1937, Manuel Maravé n'est âgé que de quelques mois. De sa Retirada, il n'en a que le récit de ses parents : la guerre d'Espagne, l'ombre des troupes franquistes qui frappe à la porte de son Andalousie. La famille Maravé quitte Antequera, au sud de l'Espagne. Manuel, ses parents, Isabelle et Manuel, ses sœurs, Josefa et Maria, parcourent la côte espagnole, alternant la marche et le train : « Nous nous cachions dans les gares, raconte Manuel. Dès que le train passait, nous montions clandestinement à bord. » À Motril, toujours au sud de l'Espagne, la famille essuie un bombardement : « Nous avons perdu mes deux sœurs dans l'affolement», raconte Manuel Maravé. Le petit enfant et ses parents remontent progressivement vers le nord de l'Espagne, seuls.
Sous les oliviers. «On se cachait parfois dans des champs d'oliviers, pour éviter que l'aviation franquiste ne nous repère », relate Manuel. À leurs côtés, d'autres familles d'exilés. Isabelle, sa mère, lève la tête inquiète. Au-dessus d'eux, deux avions de l'armée franquiste scrutent le sol. « C'est alors que ma mère a décidé de courir et de changer de ranger d'arbres », raconte Manuel. Son père décide de la suivre, tenant son enfant dans les bras. Les deux avions se mettent à piquer du nez, et mitraillent leur première planque. «Si on était resté là, on serait sans doute morts », atteste Manuel.
Famille Mias : Un peu plus au nord, dans la Catalogne espagnole, les bombes tombent aussi. Enric Mias et ses filles, Joana et Josefina, y poursuivent leur route. Partis de Barcelone, ils se dirigent vers le Perthus, à la frontière franco-espagnole. Autour d'eux, l'aviation franquiste ne cesse de larguer ses bombes. Les bombardements et les assauts franquistes sont particulièrement virulents dans la zone.
Dans l'affolement, Joana, 24 ans, est séparée de son père et de sa sœur. La jeune espagnole a de la ressource : celle-ci se déguise en infirmière et poursuit sa cavale avec un convoi de blessés et de soldats. Josefina et Enric rejoignent le Perthus en voiture et à pieds : «Ils ont marché vers la frontière, dans le froid, la pluie, avec des ampoules aux pieds : les socquettes blanches de ma mère étaient rouge sang », raconte Annie Rieu.
Puigsech et Munoz : Cette route, Ramón Puigsech et sa famille la connaissent. Lui, ancien maire de Tordajada, près de Valence, sa femme, Herminia Muñoz, sa fille (également Herminia, alors âgée de 12 ans) et son beau-frère, Raymond Muñoz, rejoignent Figueras, près de la frontière, dans un camion chargé de meubles.
Sur place, ils doivent tout laisser : « De Figueras à la frontière, l'aviation allemande mitraillait la route, raconte Numen Muñoz, fils de Ramón. Ma mère et ma grand-mère se mettaient un bâton dans la bouche pour éviter que leurs tympans n'explosent.»
« De Figueras à la frontière, l'aviation allemande mitraillait la route. »
Famille Mistou : Même destin pour la famille Mistou, qui habite aujourd'hui Saverdun. La cohorte a aussi vu la mort de près au nord de l'Espagne. En janvier 1939, Isabelle et ses parents, Joseph Rovira et Dolorès «Lolita» Doga, fuient le petit village de Vallirana, près de Barcelone, dans un camion. «La route de l'exil est une épreuve surhumaine, poursuit-elle. Mitraillés par les avions allemands, italiens…
Les morts jonchent les routes, les animaux abandonnés, les cartons éventrés, les enfants perdus appelant leur mère et pour compléter cette horreur, la pluie nuit et jour, le froid et ensuite la neige. Peu à peu, les mères se déchargent de leur bagage, ne gardant que l'essentiel ». Et notamment, la « mante ». Cette couverture qui peine à les protéger du froid.
Michel Grasa : Cette couverture, Michel Grasa, aujourd'hui maire du Vernet d'Ariège, la connaît bien. L'élu avait seulement dix mois lorsque, blotti dans une mante, il passe la frontière franco-espagnole. Sa mère, Angèle, lui a tout raconté. La faim. La maladie. La promiscuité. Le bébé ballotté par l'Histoire, a fui la Catalogne en 1939, sous les bombes, dans les bras de sa mère, et tenant la main à son oncle de 14 ans. Lui aura un destin tout à fait particulier : et deviendra maire du Vernet d'Ariège, où il termine actuellement son second mandat. C'est dans ce village ariégeois que fut créé un camp de concentration, en janvier 1939.
En 1939, Barcelone tombe. Les franquistes s'emparent de la ville catalane. Beaucoup considèrent que l'événement marque le début de la Retirada. Cependant, en Ariège, l'exil des Républicains espagnols a commencé bien plus tôt.
En juin 1937, les troupes de Franco entrent en campagne dans le nord de l'Espagne et poursuivent leur conquête dans le Haut Aragon. Les journalistes de La Dépêche du Midi se rendent à Seix. Sur place, il interroge Paul Broué, élève au cours complémentaire, alors âgé de 15 ans : « De la salle de classe, nous entendions régulièrement les coups de canons de la guerre d'Espagne. C'était terrifiant. »
Avril 1938. Le Couserans voit alors arriver sur ses terres des centaines de réfugiés espagnols. À travers les cols et les chemins, les journalistes de La Dépêche du Midi parviennent à rencontrer ces populations et à rendre compte des conditions de traversée des Pyrénées : « Frontière infranchissable, mais le courage désespéré fait trouver des ressources qui dépassent la limite des forces humaines et c'est ainsi qu'aujourd'hui les populations, en fuyant les Maures de Franco, franchissent le port de Salau, le plus abordable de ceux qui s'ouvrent sur l'Ariège, malgré ses 2 045 mètres d'altitude, malgré la hauteur des neiges qui semblaient en défendre l'accès.»
Un bébé dans la neige
Dans les colonnes du journal, une chronique régulière décrit cette Retirada : «les Echos de l'exode». Le journal propose une plongée dans le périple des Républicains espagnols.
«Hier à 16 heures, sont arrivés à Salau 23 réfugiés civils, accompagnés de 7 policiers espagnols, raconte le journal. Une femme a accouché à six kilomètres de Salau, en pleine montagne et dans la neige. Les habitants du village et les gardes mobiles sont allés la secourir. L'enfant serait vivant.»
Les «Echos de l'exode» témoignent aussi de la solidarité de certains citoyens français. Quelques jours plus tard, la Dépêche du Midi donne quelques nouvelles de cette exilée espagnole, qui a accouché dans le froid : «La femme qui a accouché à 6 kilomètres de Salau, donnant ainsi un petit Français à notre Couserans, a été recueillie à Salau par une brave femme, Mme Pujol, qui a perdu trois fils lors de la grande guerre.
Cette femme se signala par son dévouement durant les inondations d'octobre (…) Le bébé de la réfugiée se porte à merveille. Plus tard, il pourra se souvenir de son lit de naissance : au bord d'un sentier, dans un berceau de neige.»
La femme qui a accouché à 6 kilomètres de Salau ... a été recueillie par une brave femme.
Terribles conditions météorologique en avril 1938 pour passer les Pyrénées ariégeoises. La neige est imposante habille le Port de Salau, le Port d'Orle et la vallée d'Ustou d'un imposant manteau blanc. Mais c'est dans le pays catalan, que la majorité des exilés tentent leur chance : ils sont près de 500 000 à passer la frontière par le Perthus.
Maravé : De l'Andalousie au nord de l'Espagne. Et après des mois de périple, la famille Maravé arrive à proximité de la frontière française, à Lérida. Ils y resteront 9 mois, avant de reprendre la route. Au loin, les contreforts pyrénéens dressent ses sommets enneigés en murailles infranchissables. La famille Maravé se lance. Manuel a 3 ans lorsque lui et ses parents passent les Pyrénées espagnoles, en direction de la frontière. Le 7 avril 1938, une épaisse couche de neige macule le Port de Salau : «Une mule nous ouvrait la voie», décrit Manuel Maravé. Le chemin grimpe, les corps fatiguent.
Et soudain, Manuel tombe dans la neige. Ses parents se ruent vers lui. Plus de peur que de mal, mais dans le mouvement, l'enfant perd sa «chupeta», sa sucette. «Depuis, je rêve de retourner sur ce chemin pour la retrouver», raconte aujourd'hui Manuel Maravé, le sourire aux lèvres. Le 8 avril 1938, la famille Maravé arrive au village de Salau. Ils sont vaccinés sur place, sous la mairie. Les enfants et les femmes sont amenés en car à Seix. Les hommes quant à eux, doivent descendre à pied. De Saint-Girons, tous seront acheminés en train, direction Rodez.
Famille Mias : Plus à l'ouest, entre l'Espagne et les Pyrénées-Orientales, le Perthus a fermé ses barrières. Pas de neige en vue pour les exilés, mais l'attente et le désordre. La famille Mias parvient à la frontière le 28 janvier 1939 et se mêle à la foule. Par miracle, Josefina et Enric parviennent à retrouver Joana, qu'ils avaient perdu en route. Aux devants des barrières, ils sont des milliers d'exilés, entassés, à attendre que la France ouvre sa frontière. Les têtes se lèvent, inlassablement, de crainte de voir surgir l'aviation franquiste. Les barrières s'effacent, les gendarmes et les douaniers pressent la foule : « Allez ! Allez ! ».
La famille Mias est à nouveau séparée : engagé dans la franc-maçonnerie, Enric décide de partir dans les hauteurs pyrénéennes, laissant ses deux filles. Joana et Josefina poursuivent leur route jusque Perpignan, à pieds avec un convoi de femmes et d'enfants. Durant le trajet, les deux sœurs s'occupent de Menchiou, un petit enfant andalou de 7 ans orphelin.
Paronella : Derrière eux, Pierre Paronella, sa mère Maria et sa petite sœur arrivent trop tard : «Nous avons rejoint la frontière du Perthus à 18 heures, alors que les barrières fermaient. Je me souviens que nous nous tenions tous debout, toute la nuit blottis les uns contre les autres dans la rue, à attendre que les barrières se lèvent.» A l'ouverture, c'est la cohue : Maria n'a le temps que de prendre la main de ses enfants. La valise est laissée au sol, dans les artères de la ville frontalière.
Le Vernet d'Ariège, camp de souffrance et de peine
Réfugiés espagnols, «indésirables étrangers» : près de 35 000 personnes ont passé les portes du camp du Vernet. 70 enfants, 252 adultes mourront sur place. Retour sur un site qui a marqué le département.
« Il n’y a pas lieu de faire régner dans les camps de Gurs, d’Argelès de Rivesaltes ou de Milles une discipline aussi stricte qu’au Vernet ». Tels furent les mots du Ministère de l’Intérieur français pour dépeindre le camp du Vernet d’Ariège, dans une circulaire diffusée en 1941. Dans le département, le site a marqué l’histoire, les esprits. Tristement. Sur place, des dizaines de milliers d’Espagnols ont été internés, suite à la Retirada.
Tout commence en février 1939, date de son ouverture. Un petit château d’eau qui surplombe une vingtaine de baraques sur un terrain de boue. La « Commission française de recherche de camps de concentration et de rassemblement » désigne le site vernetois comme « centre d’hébergement » : « La IIIe République française décide de créer le camp du Vernet alors que la France n’était pas en guerre », décrit Raymond Cubells, président de l’Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du Camp de Concentration du Vernet d’Ariège (AAIPRCCVA).
«En général, les internés mourraient de cachexie.»
Près de 900 exilés espagnols qui ont fui la répression franquiste sont internés au Vernet : « Il s’agissait de Républicains et de soldats des brigades internationales, poursuit Raymond Cubells. En parallèle, près de 5 000 miliciens espagnols sont envoyés à la Briqueterie de Mazères. Exténués, affamés, tous doivent s’atteler à la construction du camp, dans un froid polaire. De vingt baraques, le camp du Vernet en compte rapidement une soixantaine.
Les derniers parpaings sont posés, et en mars 1939, les premiers décès sont constatés : « En général, les internés mourraient de cachexie », relate Raymond Cubells. Selon l’Amicale, 52 internés meurent de faim et de froid entre mars et septembre 1939. « Les baraques tombent en ruine et les vitres sont remplacées par des planches, si bien qu’il y a le choix entre le froid ou l’obscurité », témoigne un détenu.
Le règne du désespoir
« Lorsque l’on entrait au camp du Vernet d’Ariège, on ne savait pas quand on allait en ressortir : c’était ça le plus grand désespoir. » Sur le site, le quotidien est bercé entre labeur et répression. Les internés doivent réaliser des corvées : vider les excréments, balayer la cour… Et répondre à l’appel quatre fois par jour. Alors, les internés réagissent : « Ils organisent une sorte de résistance intellectuelle dans le camp », relate Raymond Cubells. Les détenus organisent des tournois d’échecs ou de dominos.
Le 3 septembre 1939, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Au Vernet, plus de 7000 Républicains espagnols sont envoyés au camp de concentration de Septfonds dans le Tarn-et-Garonne. Il est décidé d’interner sur place les communistes étrangers et les citoyens allemands et les communistes étrangers (Espagnols, Italiens, Yougoslaves,…). Le camp du Vernet devient alors un « camp répressif pour étrangers suspects », jusqu’en juin 1944.
De l’internement des républicains espagnols, à celui des « indésirables étrangers », on estime que plus de 35 000 personnes ont été enfermées dans ce camp.
A travers les barbelés du camp du Vernet d'Ariège. / Photo Amicale des Anciens Internés.
Pour de nombreux exilés, passer la frontière franco-espagnole était synonyme d'une liberté retrouvée, d'une mise en sécurité. Ils se trompaient. C'était sans compter l'organisation mise en place par l'administration française pour accueillir et gérer la masse d'exilés espagnols qui passe la frontière. La plupart d'entre eux sont internés dans l'un des onze principaux camps, destinés à recueillir les soldats de l’armée républicaine en déroute. Les camps de Gurs, du Vernet d'Ariège et d'Argelès-sur-Mer sont les trois camps qui ont principalement internés des ressortissants espagnols, dont les descendants habitent désormais dans le département.
Famille Mistou : «Ma famille avait quitté un enfer pour en trouver un autre», affirme Isabelle Mistou. Du froid, à la famine, la famille Mistou connaît cette fois-ci l'horreur des camps. Son grand-père a connu le camp du Vernet d'Ariège, camp disciplinaire, où les «rouges», ces «Espagnols indésirables», étaient violentés.
Sa mère, Dolorès « Lolita » Doga de son côté, raconte les souffrances du camp d'Argelès: « Les morts ne se comptaient plus. L'épuisement, la malnutrition, le froid, le vent, la peur, cette sensation d'avoir fui un enfer mais d'être tombé dans un autre ».
«Ma famille avait quitté un enfer pour en trouver un autre.»
«Ils disaient qu'on mangeait les enfants, qu'on déterrait nos morts…»
Michel Grasa : A Argelès-sur-Mer, Michel Grasa, aujourd'hui maire du Vernet d'Ariège, décrit les humiliations des gardes. Le froid, le manque d'hygiène. La solidarité timide des habitants des alentours. «Au début, les gens faisaient passer de la nourriture par-dessus le barbelé, raconte-t-il. Puis, les gardes ont renforcé la sécurité.
Il circulait de nombreuses rumeurs sur les “Rouges”, comme on nous appelait. Ils disaient qu'on mangeait les enfants, qu'on déterrait nos morts…». Michel Grasa et sa mère ont passé vingt longs mois sur place.
Paronella : Maria Paronella et ses enfants ont franchi la frontière franco-espagnole. Tous sont amenés au camp d'Argelès-sur-Mer dans les Pyrénées-Orientales, où se trouve... Miguel Paronella, le père de famille, qui avait tenté de passer la frontière avec son unité. Dans le camp, les hommes, les femmes et les enfants sont séparés : « Nous étions à 50 mètres de mon père, et nous ne le savions pas, se souvient Pierre. Nous l'avons appris plus tard. »
Gonzalez : Antoine Gonzalez passe la frontière franco-espagnole et est interné au camp d’Argelès-sur-Mer. Les conditions de détention sont terribles : « Les personnes internées étaient parquées à l’extérieur. Ils devaient creuser des trous pour s’abriter. On leur jetait de la nourriture par-dessus les barbelés. » À Argelès, Antoine y reste plusieurs mois. Sa femme, Maruja passe la frontière française dans un camion de pneus.
Au début de l’été 1939, Antoine Gonzalez reste sans nouvelles de sa famille. D’Argelès, il est envoyé au camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques). Sur place, ils sont près de 10 000, hébergés dans des baraques : « Comparé au camp d’Argelès, c’était un hôtel 5 étoiles », expliquera plus tard l’exilé à sa fille. De son quotidien, l’homme se met à fabriquer une valise en bois. L’envie de partir. Puis l’éclaircie dans le ciel sombre : « Antoine, tu as reçu du courrier », lui lance un interné. « Qui peut bien m’écrire ? », questionne l’Espagnol. Le paraphe est signé Maruja, sa femme.
Et soudain, envisager une nouvelle vie, en France devient possible.
Le camp de Gurs dans les Basses-Pyrénées. / Photo DR
La Retirada, elle ne s'arrête pas à la fuite massive de réfugiés qui laissent leur foyer derrière eux, à un simple passage de frontière. Elle se poursuit, elle dure dans le temps. La Retirada, c'est aussi la vie d'après, et le devenir de ces centaines de milliers d'exilés après avoir tout quitter. Certains s'intègrent par le travail. D'autres n'attendent pas la fin du franquisme, en 1975, pour retourner en Espagne. D'autres encore font le sacrifice ultime, et se livrent corps et âme dans la Résistance durant la Seconde Guerre Mondiale, en se battant pour une cause qui n'était, à l'origine, pas la leur.
Famille Mistou : Après l'horreur des camps, la famille Mistou parvient à se reconstituer. Beaucoup travaillent comme ouvriers agricoles. La maman d'Isabelle aura la chance d'aller à l'école : « 10km à pied, tous les jours, mal habillée, mal chaussée, un œuf dur et une tranche de pain pour repas. L'école lui a fait découvrir les livres, la langue de Molière, les amies, mais surtout cette envie d'apprendre». Le couple, qui aura quatre enfants, ne compte pas ses efforts pour s'arracher à la précarité d'une vie quotidienne difficile.
« En octobre 1949, ils sont venus vivre à Saverdun et là ; mon père a fait plusieurs métiers bûcheron et maçon, reprend Isabelle Mistou. Il partait en solex à Toulouse à 4 heures du matin pour être au travail à 8 heures. Le soir il rentrait à 21 heures… puis il a acheté deux chevaux de traits, il a loué ses bras, et petit à petit sa vie, s'est orientée vers l'agriculture, à Saverdun. Ma mère a travaillé aux champs, nous a élevés tous les quatre. »
«L'école lui a fait découvrir les livres, la langue de Molière, les amies, mais surtout cette envie d'apprendre.»
Antoine Gonzalez : Toujours enfermé à Gurs, Antoine Gonzalez. « Il ne pouvait pas retourner en Espagne, raconte sa fille Maritchu. Sur place, il aurait été fusillé. » L’Espagnol va alors faire des pieds et des mains pour intégrer une Compagnie de Travailleurs Étrangers (CTE). La structure regroupe la main-d’œuvre étrangère et la fait travailler à bas coût. Antoine Gonzalez est affecté à la Compagnie de Seix en Ariège.
Antoine Gonzalez (en bas à gauche), dans les hauts de Seix. / Photo DR
« Ils sont une vingtaine, à être logés dans une maison », décrit Maritchu Dolques. Impossible d’en sortir. Les travailleurs étrangers doivent pointer au travail, et sont continuellement épiés : « Quelques fois, ils étaient réquisitionnés pour planter des pommes de terre chez une habitante. La propriétaire des lieux, une dame âgée, était chargée de les surveiller. Les travailleurs lui tenaient la conversation toute la journée et rentraient chez eux le soir, avec deux pommes de terre dans les poches », relate Maritchu.
Tout était bon pour manger. Au quotidien, les travailleurs étrangers réalisent des travaux de génie civil. À Seix, Antoine conçoit passerelles, réfectionne des canaux et la voirie.En 1942, il voit enfin arriver sa femme et sa fille en Ariège. Il décroche finalement un contrat, non loin, chez un exploitant forestier en 1943, avant de se spécialiser en tant qu’entrepreneur dans les services publics. Un métier qui l’occupera le restant de sa vie.
Paronella : En août 1939, Miguel Paronella est amené au camp du Vernet d'Ariège. Après deux mois sur place, le commandant anarchiste va devoir contribuer à l'effort de guerre national.
Les établissements Barthélémy Caire, situés à Saint-Girons et spécialisés dans la fonderie et la conception de grenades, sont en quête de main-d'œuvre : «Nos établissements ont de nombreuses commandes pour des usines réquisitionnées pour Défense Nationale (…) On me signale au camp du Vernet un espagnol du nom de Paronella Fouquet, exerçant la profession d'ouvrier-mouleur.»
Miguel Paronella à Saint-Girons. / Photo DR
Miguel Paronella à Saint-Girons. / Photo DR
Miguel est envoyé à Saint-Girons. Il sera rejoint quelque temps plus tard par sa famille, qui a réussi à le retrouver grâce à la Croix Rouge. Il travaillera au sein de l'usine jusqu'au 26 mars 1943. Ce jour – là la Gestapo s'agite, et va frapper aux portes. Elle recherche un homme : Miguel Paronella. «Je ne sais pas à quoi il ressemble, répond une femme, mais je peux vous montrer où il travaille.» À l'usine, Miguel est appelé dans le bureau du directeur.
Sur place, quatre soldats de la Gestapo l'attendent de pied ferme. Ils le ramènent chez lui, et demandent à sa femme Maria de lui servir à manger, avant de l'embarquer : «Nous vous conseillons de prendre une couverture», indique un soldat. Il passera la nuit en cellule, à Saint-Girons, avant d'être amené à la frontière franco-espagnole. Miguel Paronella est remis aux autorités espagnoles, qui le condamnent à mort, pour «actes de rébellion» entre 1936 et 1939. Enfermé à Figuères, le soldat républicain est exécuté le 20 juin 1944, à l'âge de 39 ans.
Michel Grasa : Pour Michel Grasa et sa mère, l'intégration passe par l'itinérance : Grenoble, les Pyrénées-Orientales, puis l'Ariège. Un de ses frères est né dans le premier département, l'autre dans le second. Le père de Michel Grasa travaille sur les barrages, la construction des conduites forcées, vers Mérens. Il y fait sa classe élémentaire, puis passera son certificat d'études à Foix. Son père lui répète :
Puis la famille s'exile en région parisienne. Après une vie professionnelle bien remplie, le hasard voudra que Michel Grasa et sa femme (elle se prénomme France, ça se s'invente pas), s'installent au Vernet d'Ariège. Entre-temps, il a obtenu, après une bagarre de plusieurs années et deux refus, la nationalité française. Deux refus, parce qu'il avait utilisé le terme de «camp de concentration» pour qualifier le camp d'Argelès. L'ancien réfugié deviendra maire de cette commune chargée d'Histoire. La cabriole du destin le fait sourire, mais il n'en tire aucune gloire : « Je ne suis pas le seul fils de réfugié à être devenu maire », fait-il remarquer.
Louis Torrent : revenir en Espagne et vivre sous l'enfer de Franco
Un père espagnol qui s'engage dans le maquis français. Et quelques années après son décès, sa femme et son fils, Louis Torrent, qui reviennent dans l'Espagne de Franco. La Retirada hante ce Massatois, bien des années après son exil.
Louis Torrent : En 1944, Joan Torrent, le père de Louis s'engage chez les maquisards. Il sera mortellement touché le 13 août 1944, lors d'une opération de parachutage. Il décédera trois jours plus tard. À 32 ans, Cécilia Torrent se retrouve veuve de guerre, en charge de deux enfants. Ils resteront en France jusqu'en 1953. Louis, alors âgé de 20 ans, est obligé de suivre sa mère et son nouveau compagnon, Matteo, lui aussi réfugié espagnol : « On est parti sur un camion avec quatre baluchons et un vélo », se rappelle Louis. Direction L'Argentera, près de Tarragone. Dans l'Espagne de Franco. Louis trouve du travail non loin, à Reus, en tant que maçon et y rencontrera l'amour de sa vie, Maria Bargallo.
« On est parti sur un camion avec quatre baluchons et un vélo. »
Service militaire. En 1954, Louis apprend qu'il doit effectuer le service militaire. Le jeune espagnol se rend au camp militaire de Figuères, pour trois mois. La routine est difficile dans le camp : « Tous les jours, il fallait embrasser le drapeau espagnol. Je pleurais en pensant à mon père. » Son père, Joan Torrent, qui a combattu le franquisme.
« Je veux être comme tout le monde. »
Un matin, les troupes décident de lever le camp. Direction Darnius, non loin, pour les vêpres. Louis Torrent suit le mouvement. Lui n'a jamais été baptisé, et « dans l'Espagne de Franco, si l'on n'était pas baptisé, on ne pouvait pas se marier. » À la fin de la messe, la jeune recrue s'approche du curé : «Je ne suis pas baptisé, et je voudrais le faire. » « Pourquoi ?», questionne le curé. « Pour être comme tout le monde », rétorque Louis Torrent.
Le curé le fait entrer dans l'église et lui parle en catalan, alors interdit par Franco : « On est entre nous : tu ne crois pas en Dieu n'est-ce pas ? Tu ne crois pas parce que tu ne vois pas. » Louis Torrent hausse les épaules : « Je veux être comme tout le monde », rétorque la jeune recrue. Finalement, le soldat fera son catéchisme plusieurs fois, en cachette, avec l'homme d'Église. «Rendez-vous dimanche 5 décembre, à la cathédrale de Gérone», lui indique le curé.
Opération de propagande. Louis Torrent entre dans la cathédrale, en tenue militaire. Il pense que la cérémonie se fera en catimini. Le comble pour la recrue : la bâtisse est noire de monde. L'étonnement : «Moi qui souhaitais que cela ne se sache pas...» Plusieurs personnes accourent pour l'embrasser. Une femme lui donne un billet de tombola : « Je ne m'attendais pas à ça, j'étais perturbé », se souvient Louis. Le soldat se fait baptiser. Son parrain, son capitaine d'infanterie, et sa marraine, la femme du colonel, sont sur place. Louis sort de la cathédrale : les journalistes sont sur le pont et le photographient.
Dans les journaux de Gérone, le lendemain, on peut lire « Le soldat Guillermo Torrent (son nom a été remplacé) est parti d'Espagne en 1939, emporté par la vague rouge. Après la victoire de l'armée espagnole, Guillermo est revenu chez nous, pour recevoir les Saints Sacrements. Il a mangé le pain de l'exil. L'ambiance étant sûrement peu propice en France, il a décidé de repasser la frontière libre et spontanément avec Dieu et la patrie.»
Une trahison pour Louis Torrent : « Je me serais passé de tout ça, je l'ai mal vécu. C'est comme si on avait indiqué que Franco avait réussi à remettre les Rouge sur le droit chemin. »
L'article a été publié dans un journal local de Gérone
Intégrer la Résistance et se battre en France et en Espagne
Muñoz : 1942. La pénombre s'empare du camp du Vernet d'Ariège. Dans lan nuit, deux silhouettes se dessinent. Herminia Muñoz-Puigsech et sa mère, Herminia Puigsech, résident avec Ramón Muñoz à la ferme de Villeneuve-du-Bosc. Une fois par semaine, elles apportent des colis au camp du Vernet d'Ariège. «Ce manège a intrigué les guérilleros ariégeois», explique Numen Muñoz, maire de Verniolle et fils d'Herminia Muñoz-Puigsech. En avril 1943, Herminia Muñoz intègre les rangs des maquisards en tant qu'agent de liaison, avec le grade de sergent, à la demande de l'état-major de la 3e Brigade des guérilleros espagnols.
Herminia Muñoz, héroîne de guerre. / Photo DR
Pendant des années, elle effectuera des missions entre Foix et Toulouse. Elle faisait régulièrement le trajet à vélo pour apporter des messages aux guérilleros toulousains. « Un jour, les guérilleros lui ont demandé de transporter jusqu'à Toulouse des uniformes allemands, qui avaient été volés, se souvient Numen Muñoz. Pendant le trajet, dans le train, des soldats allemands se sont mis à la draguer, et à lui porter sa valise.» Heureusement sans se rendre compte que la jeune femme transportait des uniformes allemands dans ses bagages.
Herminia Muñoz a également transporté deux fusils-mitrailleurs : «Elle a réalisé des missions que l'on n'oserait pas imaginer dans des fictions», sourit son fils, Numen Muñoz. Le 22 août 2009, le général Michel Roquejeoffre a fait de Herminia Munoz un chevalier de la légion d'honneur. Cette combattante est décédée en février 2013, à l'âge de 87 ans.
« Pas d'excès d'honneur, ni d'indignité pour les Espagnols ». Pas de surenchère, mais des hommes qui se sont rangés pour une cause qui n'était pas, au regard de leur histoire, obligatoirement la leur. Et au final, en France, aucune autre préfecture que celle de Foix a été intégralement libérée par les Espagnols. Un cas unique.
Car le 19 août 1944, les guérilleros étaient seuls dans les artères fuxéennes. Et pour cause, avant la bataille, les Francs-tireurs et partisans, résistants communistes, attendent le feu vert de leur direction interrégionale pour aller libérer la cité comtale. C'était sans compter les soldats espagnols, qui avaient déjà commencé leur assaut.
À l'assaut de Foix
Sur le front, une brigade (la 3e), et deux bataillons. Les troupes espagnoles sont dirigées par le commandant José Alonso « Robert », le chef de la brigade, Pascual Gimeno «Royo», accompagné du commandant Marcel Bigeard et d'un officier des services secrets britanniques, Probert (voir photo ci-dessus).
Dans les faits, il aura fallu près de 300 minutes de combats pour libérer la ville. Le premier bataillon, mené par le commandant Pedro Abascal «Madrilés», arrive à Foix par la route de Toulouse à 16 h 45. Il prend d'assaut la villa Lakanal, habitée par la Luftwaffe, la composante aérienne de la Wehrmacht, qui s'enfuit. Sur les terrasses du Pech, qui dominent le pont à l'entrée de la ville les guérilleros mitraillent les barrages allemands : ces derniers se replient dans la cité. Les combats s'engagent dans les rues de Foix.
La préfecture est libérée rapidement.
À 18h30, un train de soldats allemands, venant d'Ax-les-Thermes entre en gare de Foix. Il est maîtrisé par des renforts de Francs-tireurs et partisans. Plusieurs victimes sont à déplorer : deux soldats, une Française venue avec eux et le conducteur du train.
À 19 heures, le second bataillon arrive en provenance de Montségur. Dirigées par le commandant Alberto Guttierez «Alfonso», les troupes arriveront quelques heures après le début des hostilités, puisqu'elles ont dû marcher près de 17 kilomètres avant d'arriver à la cité comtale, par la route de Montgailhard. Sur Villote, la bataille fait rage, et les troupes avancent pas à pas. Les Allemands se replient au lycée Gabriel Fauré, mais José Fernandez, guérillero, est tué à l'entrée de la rue du lycée. L'établissement est bombardé et mitraillé de part en part par les résistants.
Le commandant allemand Rau est contacté par téléphone : «Toute résistance est inutile», énonce le major Probert. Les Allemands sont décontenancés par la présence des Britanniques.
De l'autre côté de la ville, Crescencio Muñoz, du premier bataillon, mène l'assaut avec un petit groupe de résistants, au château de Foix : «Ils craignaient que les forces allemandes ne lancent des grenades sur la rampe d'accès du monument», explique Numen Muñoz, fils de Crescencio et maire de Verniolle. Il n'en sera rien : le soldat espagnol remplace la croix nazie qui flottait au sommet du château depuis près de deux ans. Le drapeau républicain espagnol flotte au-dessus de Foix. La cité comtale est libérée vers 21 h 30.
Préserver le souvenir
80 ans après, la Retirada continue de marquer les esprits. Elle ne marque pas la fin de la Guerre d'Espagne, elle ne s'arrête pas à un périple puis à un passage de frontière. Le calvaire des réfugiés espagnols s'est poursuivi bien après leur fuite de l'Espagne vers la France. La Retirada, c'est aussi l'intégration, la plupart du temps difficile, de ces réfugiés espagnols sur le sol français. Elle rassemble des réalités complexes, des vécus différents qu'il nous faut saisir pour comprendre notre présent. Ce dossier illustre encore aujourd'hui au combien l'héritage de ces réfugiés espagnols est précieux. Aujourd'hui encore, nombreux sont les descendants d'exilés qui s’attellent à préserver la mémoire de ces exilés espagnols.
Maravé : C'est le cas de Manuel Maravé, de Saint-Girons. En 2015, l'exilé espagnol a refait le chemin de l'exil avec son petit-fils Jérémy : « Avec un peu de volonté, et le fait de savoir que nous sommes déjà passés par cette route, je pourrais peut-être refaire mon chemin de l'exil », témoigne, sourire aux lèvres, l'exilé.
Famille Mias : La Retirada n'a pas seulement marqué les exilés espagnols. Elle a transcendé leurs générations, leur descendance. Annie Rieu en est un exemple parfait. Fille et petite-fille d'exilés, elle a entamé, il y a une dizaine d'années un travail de recherches exclusivement dédié à «l'exil par la montagne».
Celle-ci a collaboré avec des chercheurs catalans, et a finalement délivré un travail complet sur la Retirada dans le Pallars (nord espagnol). Annie Rieu a également initié des rencontres franco-espagnoles au Port de Salau, « tous les premiers dimanches du mois d'août, explique-t-elle.
«C'est à cause de la Retirada que j'ai eu le souci de resserrer les liens entre Français et Espagnols.»
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