divendres, 13 de novembre del 2015

Les fantômes africains de Franco (1) : les guerres secrètes du Rif.

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(MISE À JOUR : )
Il y a 40 ans mourait le dernier dictateur d'Europe : Franco. Le Caudillo a pris le pouvoir au prix d’une guerre civile (1936-1939), fruit d’un complot nationaliste et anti-républicain. Mais derrière l’histoire de cette dictature, le parcours de Franco est avant colonial et africain. Des années 1910 à l’aube des années 1970, ses fantômes ne cessent de hanter les esprits des deux côtés de la Méditerranée.
« ¡ El Viejo se fue ! » L’annonce de la mort de Franco, le 20 novembre 1975, met un terme à la dictature espagnole. L’agonie du Caudillo a duré de longues semaines et sa mort est cachée près de deux semaines, le temps de régler les modalités de transition du dernier totalitarisme d’Europe. La chape de plomb qui s’était abattue sur l’Espagne pendant quatre décennies s’achève. Si le travail de mémoire a lentement fait surface autour des blessures de la guerre civile, une lourde amnésie pèse encore sur l’histoire coloniale de l’Espagne au XXe siècle. Car l’aventure militaire marocaine fut le tremplin politique de Franco, deux décennies avant la guerre civile.
Pour comprendre le rapport de Franco aux colonies africaines, il convient d’effectuer un rapide retour en arrière. En 1898, l’Espagne perd Cuba ; avec cette île s’évanouit le mythe de l’Empire hérité de Charles Quint. Deux tendances s’affrontent : les modernistes, qui veulent « européaniser » l’Espagne, et les conservateurs, qui recherchent la restauration de la grandeur passée de la couronne. À la Belle Époque, le Maroc est devenu l’obsession des militaire espagnols – malades de l’Empire perdu. La course est d’autant plus urgente que, outre l’argument de la proximité géographique, les appétits d’autres puissances européennes se font jour : la France et l’Allemagne lorgnent sur le sultanat marocain. C’est dans ce contexte que le jeune sous-lieutenant Franco (19 ans seulement) part pour le Maroc sitôt promu de l’Académie militaire de Tolède. Il met le pied en Afrique le 17 février 1912, à Melilla, enclave espagnole et avant poste stratégique sur le continent depuis la fin de la Reconquista. Il est affecté au régiment d’Afrique n° 8 et reçoit son baptême du feu dès le mois suivant, le 19 mars 1912. Dans les faits, tandis que la France remporte grâce à Lyautey sa manche contre l’Allemagne, l’Espagne mène sa guerre coloniale sur le littoral septentrional du Maroc, dans le Rif, depuis ses enclaves de Ceuta et Melilla. Pour l’histoire officielle, les dates traditionnellement admises de la guerre sont 1921-1926. En réalité, l’Espagne mène une guerre qui ne dit pas son nom depuis au moins 1919, voire les années 1910. Le parcours de Franco en témoigne clairement.
Portrait de Franco, officier au Maroc (DR)
Franco multiplie les actions militaires ; son courage physique (il est blessé au ventre) lui a valu d’être nommé capitaine à seulement 22 ans. L’ambitieux officier a conscience que son destin passe par l’aventure militaire en Afrique du Nord ; pas seulement sa destinée militaire mais aussi sa destinée politique. Aussi s’efforce-t-il de revenir au Maroc avec certaines ambitions, après un temps de caserne en Espagne. Il débarque à Ceuta en octobre 1920 et est affecté à une toute nouvelle force armée, expressément créée en janvier 1920 pour la guerre du Maroc : le Tercio de Marruecos, rebaptisé Légion étrangère en 1937 en référence au modèle français créé la conquête de l’Algérie. Ce Tercio est fondé et dirigé par le lieutenant-colonel Millan Astray (grand mutilé célèbre pour son cri morbide de « ¡ Viva la Muerte ! » au début de la guerre civile), qui appelle aussitôt à ses côtés Franco qui dirige la première Bandera (bataillon) en 1920. Son Diario de una bandera, publié à Madrid en 1922, permet de plonger dans la tête de ce jeune commandant de trente ans.
Cette unité est faite à la main de Franco qui y impose une discipline de fer. Ses « Moros » (surnom donné aux légionnaires) font des ravages face aux Rifains. C’est à cette troupe de choc, extrêmement violente, qu’il est fait appel au lendemain du désastre militaire d’Anoual, en juillet 1921 : l’armée espagnole du général Silvestre a été sévèrement vaincue par la coalition rifaine dirigée par Abd-El-Krim, caïd des Beni Ouriaghel (en berbère « Les fils de celui qui ne recule pas ») et surtout créateur de la République du Rif.
Abd-El-Krim, président de la République du Rif (1882-1963)
Franco a compris qu’il est le dernier officier espagnol capable de vaincre Abd-el-Krim. Les « Moros » deviennent la troupe personnelle de Franco. Leur même violence bâtie sur la répression de la République rifaine fera, une décennie plus tard, des ravages dans les rangs républicains pendant la guerre civile espagnole – laissant de sanglants souvenirs associés aux « Moros » de Franco. Lié à Millan Astray dont il suit la disgrâce en 1922, Franco est cependant devenu l’homme fort de la guerre du Rif : promu lieutenant-colonel et chef du Tercio, il revient au Maroc dès 1923.
À cette date, les positions espagnoles en Afrique du Nord sont très fragiles. À la faveur de la dictateur de Primo de Rivera sous le règne d’Alphonse XIII, Franco parvient à imposer ses idées : mener une politique de guerre totale contre Abd-El-Krim en remplacement de la politique menée jusqu’alors qu’il juge trop mesurée. Franco a alors pris la tête des officiers « africanistes », partisans d’une reconquête militaire du Rif. Il participe au débarquement de la baie d’Alhucemas (El Hoceïma), l’une des premières opérations amphibies de l’histoire, qui frappe au coeur de la rébellion rifaine. Les opérations sont dirigées par le général Sanjurjo. Le Tercio de Franco reçoit la mission stratégique d’établir la tête de pont en territoire ennemi. Cette opération fait de Franco l’un des principaux artisans de la victoire du 7 septembre 1925, prélude à la défaite finale de la République du Rif et au maintien des protectorats français et espagnol au Maroc.
Carte postale du débarquement d’Alhucemas, septembre 1925
Car pour être complet, il convient de souligner que l’opération a été menée par une coalition franco-espagnole, véritable alliance coloniale européenne face au rêve anticolonial et républicain d’Abd-El-Krim : en cette année 1925, le maréchal Pétain a remplacé le maréchal Lyautey à Rabat, opposé à toute politique d’alliance avec les Espagnols dans cette guerre. Pétain pense autrement. Pétain et Franco se rencontrent une première fois au Maroc... et s’apprécient (Pétain sera nommé ambassadeur à Madrid en 1939 auprès de Franco). Pour son rôle déterminant dans le succès de l’opération d’Alhucemas, qui porte le coup fatal à la République du Rif, Franco est élevé au grade de général (et décoré par la France de la Légion d’honneur). De retour en Espagne, il sait qu’il doit à ses campagnes marocaines une légitimité unique au coeur des officiers « africanistes » de l’armée espagnole, bastion des adversaires de la IIe République proclamée en 1931. En 1934, Franco est nommé pour un temps haut-commissaire au Maroc, avant de devenir chef d’état-major de l’armée en 1935. À la veille du déclenchement de la guerre civile, en avril 1936, il est nommé gouverneur militaires des Canaries : les plus africaines des îles espagnoles. Se retrouvent parmi ces officiers « africanistes » les principaux conspirateurs du putsch raté de juillet 1936 : Sanjurjo, Mola, Franco...