Début 1939, en l’espace de quinze jours, la France a connu une arrivée massive de réfugiés sans commune mesure avec la vague actuelle, réservant un accueil parfois brutal à quelque 475.000 Espagnols, chassés par la victoire de Franco.
Dans un premier temps pourtant, le Front populaire (1936-1938) avait plutôt bien accueilli les milliers d’Espagnols qui franchissaient la frontière, victimes des bombardements et de la répression exercée par les franquistes (la guerre civile a commencé en juillet 1936).
Le gouvernement socialiste de Léon Blum qui, sous la pression des Britanniques et des radicaux, avait renoncé à apporter un soutien actif aux Républicains espagnols, avait eu au moins à coeur de bien organiser leur accueil.
Des consignes d’hébergement avaient été données aux préfets et surtout, syndicats et partis de gauche avaient manifesté une solidarité sans faille aux réfugiés du camp républicain notamment à l’égard des enfants (colonies de vacances, etc.).
Entre 1936 et 1938, 150.000 Espagnols avaient franchi les Pyrénées, mais Franco ayant gardé la frontière ouverte, cette immigration était restée provisoire: en 1938, seulement 40.000 exilés espagnols étaient encore en France.
Mais quand Barcelone tombe aux mains du général Franco, le 26 janvier 1939, scellant la victoire des fascistes, et que des dizaines de milliers de républicains provenant de toute l’Espagne se dirigent vers la frontière française, le gouvernement français est pris de court, manifestement dépassé par les événements, d’autant plus que la politique à l’égard des étrangers n’est plus la même.
Depuis avril 1938, avec l’arrivée du gouvernement d’Edouard Daladier, à majorité radicale-socialiste, et la montée de sentiments xénophobes dans la population, le climat a en effet changé: un décret du 12 novembre 1938 prévoit l’internement administratif des étrangers «indésirables» dans des «centres spéciaux».
Les civils espagnols sont bientôt rejoints par une partie de l’armée républicaine en déroute, et tous se présentent à la frontière dans le dénuement le plus complet, en plein hiver. Le gouvernement décide d’ouvrir les portes d’abord aux seuls civils le 28 janvier, puis le 5 février aux soldats républicains.
- Camps d’internement -
Du 28 janvier au 13 février, ce sont 475.000 personnes qui passent la frontière en différents points: Cerbère, Le Perthus, Bourg-Madame, etc. Le passage se fait dans des conditions très pénibles: les populations sont affaiblies par trois ans de combats et de privations, l’aviation franquiste bombarde les fuyards, les cols des Pyrénées sont enneigés.
Les réfugiés sont parqués dans des camps de fortune. 330.000 transiteront par les camps des Pyrénées-Orientales. Les familles sont séparées: femmes, enfants et vieillards sont envoyées en train vers des départements de l’intérieur et leurs conditions de vie dépendront largement de l’accueil que leur réserveront les différentes municipalités et de la mobilisation des populations locales.
Les hommes, eux, considérés comme «indésirables», sont placés dans des camps d’internement construits à la hâte sur les plages du Roussillon: Argelès-sur-Mer, Barcarès, Saint-Cyprien. Les premières semaines, les hommes dorment à même le sable ou la terre, et les décès sont nombreux en raison des difficultés d’approvisionnement en eau potable et en nourriture.
Les conditions de surveillance sont drastiques et assurées par des militaires. D’autres camps d’internement seront créés à l’intérieur des terres notamment Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) et Gurs (actuellement Pyrénées-Atlantiques).
Les autorités font tout pour favoriser les retours en Espagne et il y aura nombre de retour «forcés». Certains réfugiés essaient d’émigrer en Amérique latine, mais, à la mi-juin, 175.000 Espagnols sont encore internés dans les camps français.
Quand la guerre se profile, les hommes sont incorporés dans les Compagnies de travailleurs étrangers pour contribuer à la défense nationale. Après la défaite de mai 1940, leur mise au travail sera systématisée par le régime de Vichy dans les Groupes de travailleurs étrangers (qui comprendront nombre d’autres «indésirables»).
De nombreux républicains espagnols s’engageront aussi dans les bataillons étrangers de l’armée française, puis dans les rangs de la Résistance.
Au lendemain de la guerre, on comptera 240.000 Espagnols en France, parmi lesquels une petite moitié d’exilés républicains et leurs familles.
AFP