divendres, 26 d’octubre del 2018

Ils s’étaient engagés dans les Brigades Internationales: ces Algériens morts pour l’Espagne Par Rachid Oulebsir

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Aïci, Ameziane, Balek, Belaïdi, Mechenet, Oussidhoum, Safi, Sail, Zenad et d’autres noms dont l’écho résonne comme un trou de mémoire. Qui connait ces héros algériens morts pour l’Espagne républicaine ? Ils étaient 500 et plus dans les Brigades Internationales, ces volontaires qui se sont battus contre le fascisme entre 1936 et 1939. Qui étaient ces oubliés de l’histoire ? D’où étaient-ils partis ? Comment se sont ils retrouvés sur ce front anti-Franco ? Pourquoi ont-ils participé à cette lutte antifasciste ? De quoi se nourrissait alors cette conscience collective mondiale qui mobilisa des hommes sur tous les  continents pour aller se battre volontairement en Europe ?
« Un Maure dans la Sierra »
Toutes ces questions  trouvent des réponses dans des livres. Nous en avons compulsés trois, deux gros essais d’histoire et un roman. Si l’historien espagnol Francisco Sánchez Ruano fournit un luxe d’informations vérifiées et recoupées  dans son livre « Islam y guerra civil española », paru en 2004 à Madrid, le récent récit d’un Pied noir d’Algérie, Georges Gonzalès «  L’Algérie dans les brigades internationales » paru à Paris en 2016, le complète en s’attardant plus sur les figures emblématiques algériennes qui avaient marqué cette guerre civile espagnole. Le roman de Rénia Aouadène « Un Maure dans la Sierra »  est le troisième ouvrage à repeindre pour nous cette époque tragique qui révéla le hideux visage du fascisme et l’existence d’une  conscience universelle nourrie aux valeurs positives de l’humanisme. De ces trois précieux ouvrages, le roman de cette écrivaine sensible, marquée par l’exil et une enfance tragique, a suscité en nous trouble et émotion.
Rénia Aoudène, poétesse, nouvelliste et dramaturge, fille d’Aokas, ayant grandi entre la banlieue marseillaise et l’Andalousie est venue animer un café littéraire à Tichy(Bejaia) autour de son roman « Un Maure dans la Sierra », invitée par l’association culturelle Assaki. C’est sur les traces de Rabah Ousidhoum, l’un de ces héros ineffables qui marquent l’histoire universelle que la professeure d’espagnol à Marseille, est partie à la recherche de l’image de son père, un pionnier du nationalisme algérien, assassiné par les siens. Cette fiction est surtout une histoire d’amour au cœur d’une guerre atroce. Rabah, le jeune kabyle vif et curieux survivait dans la  misère indescriptible des années trente. Il souffrait de l’absence du père parti à la recherche d’une subsistance aléatoire et aidé de son instituteur, il creusera dans la poussière de l’histoire de son pays. Pourquoi  donc cette partie du monde était-elle toujours occupée par  des envahisseurs ? Le roman retrace l’itinéraire de cette conscience émergente de Rabah en Kabylie  et son choix conscient de se battre contre le fascisme dans la guerre civile espagnole. C’est surtout  sa rencontre avec Amalia qui voulait mourir avec lui dans le combat que Rénia Aouadène idéalise et nourrit de toutes ses anciennes espérances d’une enfance tragique.
De ces trois ouvrages nous retenons  le contexte historique de cette guerre civile qui a fait des milliers de morts, la participation d’Algériens parmi les acteurs des brigades internationales venus de 53 pays, et le mythe du Moro sanguinaire, ce soldat marocain enrôlé par les fascistes de Franco, qui persiste encore et pollue  l’imaginaire espagnol.
Républicains contre fascistes
En Espagne, les élections de 1936 s’étaient soldées par la victoire de la gauche, unie dans un Front Populaire (Frente Popular). A l’est, Mussolini et Hitler sont au pouvoir en Italie et en Allemagne, et L’URSS avait Staline à sa tête. L’Espagne était sous un  gouvernement de droite avec l’avènement de la Seconde République en  Avril 1931. Au sud,  le Maroc était sous protectorat espagnol avec une partie de l’armée régulière espagnole. La victoire du Frente Popular en 1936,  précipita la formation d’une armée fasciste dite Phalange espagnole, à l’exemple des Chemises noires de Mussolini en Italie, armée composée du gros des troupes stationnées au Maroc et de milliers de Moros, Marocains enrôlés pour un salaire de misère sous le commandement de Franco, parti détruire le nouvel ordre républicain. Quand Franco débarqua à partir du Maroc, un mouvement mondial de sympathie se développa autour du Front Républicain et donna les Brigades Internationales constituées de volontaires venus de plusieurs parties du monde soutenir les troupes régulières de la 2e République. Selon Georges Gonzalès, on dénombrait 53 pays d’origine des miliciens qui combattaient au sein des Brigades internationales. « Cités par ordre d’importance numérique, pour les chiffres inférieurs à 1000 volontaires, l’Algérie se situe à la 13e place sur 41 pays. »
Deux camps en présence résumaient deux visions du monde inconciliables : le premier défend les intérêts des grosses puissances et les valeurs fascistes, le second  représente les aspirations portées par les organisations syndicales et ouvrières, les socialistes, les communistes, les anarchistes. L’Union soviétique soutiendra les Républicains tandis que l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste appuieront les troupes de Franco. La France de Léon Blum soutiendra le Front Républicain avec des paroles  et le Royaume-Uni ne s’alignera sur aucun des deux camps. France et Angleterre considéraient le conflit interne à l’Espagne. Les troupes de Franco déparquèrent du Maroc avec près de 70 000 soldats marocains dit « Les Moros »  et remporteront la victoire après 3 ans de guerre atroce et des milliers de morts.
Qui étaient ces Algériens internationalistes?
« Je suis ici parce que je suis volontaire et je donnerai, s’il le faut, jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour sauver la liberté de l’Espagne et la liberté du monde entier ». Telle était la déclaration signée par chaque volontaire qui rejoignait les Brigades internationales exprimant une solidarité inédite, un internationalisme aux accents puissants.
Ils étaient plus de 500 volontaires algériens à partir combattre dans les brigades internationales pour sauver la légalité républicaine contre le fascisme. Ces oubliés de l’Histoire s’étaient mêlés aux Espagnols, aux Anglais, aux Yougoslaves, aux Américains, aux Français, aux Soviétiques, aux Polonais… Ils venaient pour plus de moitié de la communauté algérienne émigrée en France, notamment à partir de Toulouse, Marseille, Bordeaux, Lyon et Paris. Ils  étaient militants syndicaux, socialistes, communistes, anarchistes. Une partie de ces volontaires idéologiquement liés à l’Internationale communiste provenait d’Algérie, encore sous colonisation française, ceux-là étaient en partie des militants du Parti Populaire Algérien (PPA) formation politique indépendantiste dirigée par Messali Hadj, mais aussi des militants communistes algériens de mêmes tendances idéologiques que les Brigades internationales. Il y avait aussi des Juifs algériens et des enfants de colons du Parti Communiste Algérien (PCA). Les partis politiques algériens sous colonisation française, notamment le PPA, apporteront une aide matérielle au Front Populaire, mais ils s’étaient refusés d’envoyer des volontaires. « Le président de la République espagnole, Manuel Azaña, enverra une lettre de remerciements à Messali Hadj pour une contribution matérielle reçue du PPA », écrit Sanchez Ruano.
Une conscience anticoloniale
La majorité des volontaires algériens provenaient des organisations syndicales, des partis socialistes ou communistes ou du mouvement anarchiste. Il y eut cependant  d’autres cas de militants du Parti du Peuple Algérien (PPA) engagés aux côtés des Républicains, comme ceux de Mohand Aïci ou de S. Zenad, que cite Sánchez Ruano, en précisant que leur décision fut individuelle.
Cette conscience collective mondiale, qui mobilisa des hommes sur tous les  continents pour aller se battre volontairement en Europe, avait un cachet particulier pour les Nord-africains sous le joug colonial français.
Pour les Algériens engagés sur ce front ibérique, « la victoire du camp républicain impulserait  l’émancipation des peuples maghrébins sous colonisation française ». Telle était la conviction politique qui animait ces combattants dans les rangs des Brigades internationales. Leur position internationaliste était tirée par une détermination aiguisée comme l’exprimait clairement l’Algérien L. Balek, commandant d’une compagnie républicaine. Il disait dans un meeting : « Le peuple de mon pays est aussi opprimé que l’est aujourd’hui le peuple espagnol par le Grand Colon qui le ruine. Je donnerai jusqu’à l’ultime goutte de mon sang pour que les Algériens, les Tunisiens et les Marocains puissent arriver un jour à secouer leur joug et recouvrer la liberté. »
Améziane Ben Améziane, militant anarchiste, mécanicien de profession, combattait sous les ordres du leader anarchiste espagnol Durruti. Dans un « Appel aux travailleurs algériens », Améziane, cité par Ruano  écrit : « Nous sommes 12 de la CGT dans le groupe international face à la canaille fasciste. Miliciens si, soldats jamais ! Durruti n’est ni général ni caïd mais un milicien digne de notre amitié. »
Mohamed Belaïdi, mitrailleur dans un bombardier de l’escadrille dirigée par  André Malraux, l’écrivain et homme politique français, dira : « Quand j’ai su que des Arabes combattaient pour Franco, j’ai dit à ma section socialiste qu’on devait faire quelque chose, sinon que diraient les camarades ouvriers des Arabes ? »
Instruction militaire des brigades
Le mythe ravageur du Moro
Le terme Moro prend ses racines loin dans l’Histoire. Il désigne à l’origine les Maures chassés par la reconquête espagnole à partir de 1492.  Dans l’imaginaire espagnol, « le Moro » c’est encore de nos jours cet Arabe qui s’est battu aux côtés des Phalanges fascistes espagnoles dirigées par Franco. Il véhicule cette image du sanguinaire chargé des basses besognes, de la torture et des crimes de sang. Selon Sanchez Ruano, les volontaires des Brigades internationales, se battaient aux cotés des républicains espagnols pour des libertés qu’on leur refusait dans leur pays : Maroc, Algérie Tunisie, Syrie. Les  d’organisations républicaines et beaucoup de partis et hommes politiques républicains sont tombés dans l’amalgame et mettent sur le même plan les Arabes combattant dans les files franquistes. Franco disposait des troupes espagnoles rebelles et de soldats de carrière marocains engagés, les « Moros », dont le nombre grossira avec l’élargissement de la guerre pour atteindre 70.000 et plus. La misère sévissait au Maroc et leur enrôlement s’en trouvait fortement facilité par ce besoin basique de pain.
Face à Franco, 35 000 volontaires, prenant appui sur des dizaines de milliers de comités de soutien nationaux et locaux, volent au secours de la légalité démocratique. L’historien espagnol Sánchez Ruano nous apprend, à travers une recherche minutieuse que « plus de 1000 volontaires des Brigades internationales du camp républicain provenaient de pays arabes. Le plus fort contingent de ces combattants arabes venus défendre la République espagnole était constitué de 500 Algériens ».
L’image dominante du Moro est donc celle du coupable de tous types d’atrocités : pillage, viols, assassinats….
Certains intellectuels, notamment des romanciers, ont nuancé et  corrigé cette dérive historique. Ont-ils été écoutés ? Les trois ouvrages que nous citons tentent de déconstruire ce mythe tenace qui aboutit à une vision réductrice de l’histoire. Ils dévoilent tous les trois l’autre image du Moro, celui qui  participa aux côtés des Républicains à la défense de la deuxième république espagnole  dans un engagement conscient avec les Brigades Internationales. Ce Moro y a souvent laissé sa peau  comme Rabah Ousidhoum, dont l’histoire poignante est racontée par Rénia Aouadène, Rabah qui «  s’est distingué par sa bravoure dans de nombreuses batailles, notamment la bataille de Lopera près de Cordoue, et surtout celle de Segovia à l’ouest de  Madrid où il commandait le 12e bataillon ». Gonzalès écrit  qu’on le  nommait « Ralph Fox » en l’honneur de l’écrivain anglais mort à Lopera.  Oussidhoum expliquait sa présence dans les Brigades internationales: « Parce que tous les journaux parlent des « Moros » qui luttent avec les rebelles de Franco. Je suis venu démontrer que tous les Arabes ne sont pas fascistes. ».
Oussidhoum mourut la mitrailleuse en mains  en mars 1938 dans son ultime bataille, dans la plaine de Miraflores  près de Saragosse.
Effacés de la mémoire algérienne
A l’exception de la littérature (quelques livres), ni le théâtre ni le cinéma  n’ont participé à la révélation de ces héros nord-africains, encore moins à la sauvegarde et la transmission de ce pan de la mémoire nationale habité par ces Algériens internationalistes dont le combat a participé à forger la conscience anticoloniale.
Le cinéma, cet art puissant, n’a pas contribué à la destruction du mythe du Moro, négateur de l’engagement de tous ces hommes morts pour l’Espagne et un monde conforme à leurs idées de justice et paix.
Sanchez Ruano illustre cet oubli en écrivant que dans l’histoire du cinéma et dans les films consacrés à cette guerre civile espagnole, on ne verra  qu’une seule image, dans le film réalisé par A. Malraux, projeté à Paris en 1937, celle du « cercueil du milicien algérien recouvert d’un drapeau frappé du croissant musulman, une mitrailleuse posée sur le cercueil ». Il s’agit de  M. Belaïdi qui perdit la vie en janvier 1937, dans le ciel de Teruel au nord de l’Espagne.
Mohamed Belaïdi, Saïl Mohamed, Rabah Oussidhoum, Mechenet Said Ben Amar, Aïci Mohand, Zenad Saïd, Lakir Balek, Ameziane Ben Ameziane et des centaines d’autres inconnus, comme ce Safi évoqué par Rémi Skoutelski dans « L’espoir guidait leurs pas » (un texte adapté d’une thèse soutenue à l’université de Paris 1 en 1996), narrant ses démarches au sein des Brigades Internationales pour constituer un bataillon de Nord-africains.
Leurs compagnons, et leurs chefs ont disparu emportant dans le regard l’image de ces héros luttant contre la honte de leurs frères moros et  de leur bravoure et de leur engagement contre l’oppression et une idée humaine de liberté.
Un documentaire serait en préparation de l’autre côté de la Méditerranée sur « ces Algériens qui ont fait la guerre d’Espagne » sur des recherches d’Andreu Rosés et une réalisation de Marc Almodovar. Une équipe de tournage a  séjourné dans la wilaya de Béjaïa à la recherche des descendants de ces héros oubliés.